1.1 - L'étude de fréquentation : un maillon dans une réflexion qui s'inscrit dans le temps

 

1.1.1 Considérer l'espace protégé comme un système ouvert et non fermé

- L'évolution socio-économique démontre quotidiennement que les espaces naturels protégés fonctionnent, à tous les niveaux, en systèmes ouverts et fortement imbriqués : c'est l'art de l'organisation sociale que de favoriser et respecter la diversité dans un mode d'intégration forte. Dans ce contexte d'interaction croissante, il serait vain, et probablement faux, de vouloir fonctionner en système fermé.

Les visiteurs sont des résultantes d'interaction avec l'environnement : leur nombre et leur profil, leurs attentes, leurs comportements sont autant dépendants des données externes aux espaces protégés que de leur politique propre. Par exemple, l'ouverture d'une rocade, de nouvelles infrastructures de transport même lointaines (exemple, le Tunnel sous la Manche) ont une incidence sur la fréquentation (sans parler de la météo). Plus on tient compte de cette continuité, plus la gestion des flux aux portes des espaces s'en trouvera facilitée. Par exemple, l'enquête de 1996 a permis de mesurer et comparer les écarts entre les profils de la population en général (le « vivier » de vacanciers) et ceux des visiteurs réels : tous ceux qui envisagent de visiter un espace protégé ne passent pas à l'acte et les visiteurs sont, finalement, un segment assez précis de cette population. Les motivations avouées chez soi ne sont pas forcément celles déclarées sur place.

- Un espace protégé est, par ailleurs, un espace non clos, « transparent» en terme de circulation (y compris pour les espèces qu'il protège) et ses dimensions et contraintes administratives ne correspondent pas toujours à sa réalité vivante, réticulée, souvent beaucoup plus large et plus complexe.

- Certes, il peut être tentant dans un contexte de moyens limités de réduire l'analyse à l'espace luimême, qui en est le point focal. Ce serait cependant comme vouloir analyser une espèce indépendamment de son milieu. Plutôt que de limiter le périmètre de l'étude, l'expérience de l'étude de 1996 montre qu'il est possible, avec une collaboration entre plusieurs espaces protégés, de repousser la limite des moyens et donc d'améliorer la qualité de l'analyse par une intégration plus large de l'environnement. Cette collaboration devrait pouvoir s'envisager à des degrés divers, par exemple avec des acteurs socio-économiques locaux, avec d'autres espaces protégés, avec des pays voisins etc. Elle devrait pouvoir s'envisager entre espaces protégés de statuts différents.

- L'étude de fréquentation devra intégrer cette perspective ouverte dans ses objectifs, dans la détermination de son périmètre, dans la définition de son contenu, dans le choix des moyens mis en oeuvre. Cependant, il est important de ne pas brûler les étapes: il est préférable de commencer petit, pour rôder les outils et forger l'expérience, avant d'ouvrir progressivement le champ de l'analyse.

1.1.2 Résulter d'une réflexion antérieure

- Un espace protégé construit son développement autour d'un plan de gestion, ou d'un « projet d'établissement », cette dernière orientation ajoutant à la programmation une définition qualitative et de valeurs. C'est dans le cadre de cette orientation volontariste que l'étude devra s'insérer. Considérer la fréquentation comme un flux d'interactions avec l'environnement donne à l'étude de cette fréquentation une place essentielle dans le plan de développement de l'Espace : elle en devient un indicateur de pilotage (utile autant dans la gestion interne que dans ses interactions externes).

- Il ne faut pas attendre de l'étude qu'elle définisse la politique de l'Espace protégé: L:enquête, quelle que soit sa forme, n'est qu'un outil au service des décideurs. Ses objectifs, sa fréquence, son contenu dépendent de la politique voulue pour l'espace et non l'inverse: une réflexion amont sur la problématique de gestion ou de fréquentation doit précéder l'enquête. Celle-ci est la résultante d'une dynamique d'engagement qu'elle vient enrichir et aider à piloter.

- Il s'agit donc de partir d'hypothèses que l'étude permettra d'évaluer. Si l'on ne sait pas ce qu'on cherche, on ne saura pas si on l'a trouvé et on ne pourra ni comprendre ni interpréter les observations rapportées par l'étude. L:étude doit donc répondre à des questions que l'on s'est posé au préalable et non découvrir les questions qu'on devrait se poser. Ainsi, par exemple, le questionnaire sera construit en pensant au traitement qu'on en fera : les réponses ne se suffisent pas en ellesmêmes, les questions devront pouvoir être rapprochées, croisées, se compléter, s'opposer ... et se contredire : l'homme n'est pas un animal de pure logique (voir tableau page 19). C'est l'expérience qui fournit la matière pour enrichir la problématique et les hypothèses qui vont guider une étude et les suivantes. La connaissance de la fréquentation se confirme, s'invalide, s'enrichit et se réoriente au fur et à mesure des observations.

1.1.3 Penser aux recherches ultérieures

- L'étude de fréquentation elle-même n'est pas un système en soi, sans lien avec d'autres réflexions menèes par l'institution ni prolongements dans le temps : le traitement, la présentation et l'exploitation des résultats, le renouvellement des observations doivent être envisagés avant de s'engager dans la mise en oeuvre. Que ferons-nous des résultats, quand et comment seront effectuées les enquêtes ultérieures, avec quels objectifs complémentaires des premiers, quels moyens récurrents seront mise en oeuvre ? ... sont parmi les questions que l'on doit se poser avant de déterminer le périmètre et le contenu de l'étude prévue.

- Les capacités internes de suivi, d'analyse, de stockage et d'accès durables aux données (ce point est capital), seront donc évaluées dès les réflexions préalables, ne serait-ce que pour délimiter le contenu et la forme des résultats attendus de l'étude. C'est par l'accumulation autant que par les traitements croisés que la connaissance s'affine.

De même, une réflexion en amont quant à la définition d'un cadre ou d'un format commun de restitution des résultats paraît être une bonne option. Cela permet une reconduction (et donc les comparaisons) d'une étude à l'autre et permet également aux personnes ne travaillant pas sur le projet depuis l'origine d'en assurer néanmoins correctement le suivi.

1.1.4 S'imposer de penser dans la continuité

- Cet impératif de suivi pose le problème de la pérennité des orientations: une étude n'apportera pas de réponses à toutes les questions que l'on se pose. Il faudra donc faire des choix et supprimer des questions en particulier celles non totalement éclaircies, d'un ordre inférieur au questionnement en cours. Cette contrainte impose de ne pas changer de cap en cours de route, sous peine de déconstruire l'édifice d'observations (dans le cas contraire, par exemple un bouleversement obligeant à une remise en cause, il importe de conserver des passerelles entre les deux types d'approche, l'ancienne et la nouvelle).

- Il faut donc garder à l'esprit la construction d'un référentiel commun d'une étude à l'autre. Par exemple, d'une étude à l'autre, ne pas passer, pour une même problématique, de questions ouvertes à des questions fermées (ou alors savoir pourquoi), ne pas ajouter ou supprimer des items à une même question, ou encore changer des questions de place: le recueil des informations, en particulier sous forme de questionnaire, doit être d'une grande stabilité sous peine d'induire des « artefacts » qui viendraient perturber l'analyse. Sur le terrain, on s'assurera, par exemple, du respect de la répartition des points de comptage ou des observations entre sites (ou sentiers).

- Notons que cet impératif de continuité vaut également au sein d'une même étude. Une fois mises en évidence les hypothèses de travail, il convient de s'y tenir tout au long de l'étude, même s'il est nécessaire de savoir s'arrêter et réorienter les choix initiaux.

- Il faudra donc déterminer, dans le cadrage de l'étude, les questions récurrentes (celles qui appellent une mesure systématique à chaque étude), et les questions plus circonstancielles (qui apportent un éclairage particulier ou sectoriel).

- Il faut également s'assurer de la pérennité des choix méthodologiques (mesures quantitatives, mesures qualitatives). t..:échange d'expériences entre les gestionnaires d'espaces ou avec leurs partenaires locaux permet ici de gagner beaucoup de temps.

- De même, il est essentiel de garder trace en interne des données brutes, non compilées, y compris (et surtout) si le traitement en est confié à des tiers. Ces données doivent être stockées par le gestionnaire d'espace, sous un format qui restera durablement compatible avec les logiciels de traitement. Il importe également de conserver le « mode d'emploi» des données (clés de codage, ordre, etc.). C'est en effet à ces données que l'on aura recours pour les rapprochements avec des études ultérieures, ou des analyses complémentaires (par exemple des croisements entre populations ou profils qui n'auraient pas été effectués sur le champ).